Nei Yeh : Entrainement de l'Interne
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Le Nei Yeh est un traité de transformation interne datant du IVᵉ siècle avant notre ère. Préservé dans le Guanzi mais clairement antérieur à l’école taoïste classique, il établit une doctrine entièrement centrée sur le fonctionnement intérieur de l’être humain. Contrairement au Daodejing ou au Zhuangzi, qui déploient une pensée politique, cosmologique ou poétique, le Nei Yeh s’intéresse presque exclusivement à la physiologie spirituelle : comment l’essence vitale, le souffle et l’esprit s’unissent, comment l’ordre ou le désordre apparaissent, et comment la Voie peut habiter un être humain.
Le texte ne se situe pas sur le terrain de l’abstraction mais sur celui de l’expérience directe. Il part d’un constat fondateur : l’être humain porte en lui une essence vitale qui vient du Ciel et une forme corporelle qui vient de la Terre. Lorsque ces deux dimensions s’harmonisent, la vie est complète et la vitalité circule ; lorsque cette harmonie se rompt, la vitalité décline. Le Dao n’est pas une idée extérieure : il est la force silencieuse qui infuse le corps et soutient l’esprit, mais il ne peut demeurer que dans un cœur ordonné. Le trouble du cœur expulse la Voie ; la tranquillité la fait revenir.
Tout le texte décrit cette mécanique subtile. L’essence vitale est la racine profonde de la vie ; elle se perd à travers la colère, la joie excessive, l’inquiétude ou le désir, car ces mouvements dispersent le cœur et rompent l’unification interne. La préservation de l’essence ne passe jamais par la force mais par un subtil équilibre du souffle et du cœur. Lorsque le souffle devient stable, doux, équilibré et aligné, il se dépose dans la poitrine, s’unit à l’esprit et engendre la longévité intérieure. C’est ce souffle qui devient le pivot du travail : il nourrit le cœur, harmonise les membres, stabilise la perception et ouvre la voie à l’apparition du numineux.
Le Nei Yeh introduit une idée fondamentale, absente des autres classiques : la présence du “numineux” dans l’être humain. Il s’agit d’une conscience antérieure aux mots, plus subtile que la pensée, capable de percevoir directement les choses sans passer par les sens ou les raisonnements. Elle sait “intuitivement” les dix mille choses. Cette conscience est naturellement présente mais instable : un moment elle arrive, l’instant d’après elle disparaît. Sa présence dépend de la pureté du cœur et de l’absence de dispersion sensorielle. Dès que le mental s’agite, le numineux s’échappe. Dès que les sens excitent l’esprit, il perd sa demeure. Lorsque le cœur redevient tranquille, le numineux revient et éclaire tout.
La notion de “Un” est le principe de cohésion interne. La personne qui maintient le Un, c’est-à-dire qui ne se divise pas intérieurement, peut transformer les situations sans dépenser son essence et agir sans user son intelligence. Le Nei Yeh insiste cependant : cette unité n’est pas un effort de volonté, mais un état où l’on cesse de se disperser. Lorsque l’être est unifié, les choses extérieures ne peuvent plus agir sur lui ; il agit sur elles sans agitation, car il n’est plus emporté par leurs mouvements.
L’ordre intérieur produit nécessairement un ordre extérieur. Quand l’esprit est stable, les paroles deviennent stables, les actes deviennent stables, et tout ce qui entoure la personne se réorganise naturellement autour de sa présence. Le texte affirme que la puissance véritable ne vient ni des récompenses ni des punitions, mais du rayonnement d’un cœur intact. Un esprit unifié influence le monde plus vite que la parole, plus profondément que le tonnerre. La relation humaine est décrite comme un phénomène énergétique : un bon flux de souffle vital inspire la bienveillance ; un flux troublé attire l’hostilité.
À mesure que l’être se clarifie, le corps devient le miroir de cette transformation : la peau s’assouplit, les os se renforcent, les sens s’aiguisent, la perception devient transparente. L’être aligné “soutient le Grand Cercle et marche sur le Grand Carré”, c’est-à-dire qu’il s’accorde avec le Ciel et la Terre. La perception se libère progressivement des distorsions émotionnelles : ce qui est lointain paraît proche, ce qui est complexe devient simple, et les choses apparaissent dans leur juste perspective.
Le texte insiste sur une vérité répétée sous différentes formes : penser trop disperse la vitalité. La pensée profonde, enracinée dans la tranquillité, est juste ; mais la pensée compulsive détruit l’intérieur, vide le souffle, affaiblit le corps et trouble l’esprit. De même, la surcharge alimentaire étouffe le souffle, alors que la restriction excessive épuise l’essence ; seule la juste mesure nourrit la vie et ouvre la porte à la connaissance.
À un stade plus avancé, lorsque le cœur devient vaste, le souffle se relâche et le corps demeure immobile, un phénomène particulier apparaît : le souffle vital se met à “tourner” de lui-même. Ce mouvement n’est pas dirigé ; il surgit quand plus rien ne l’entrave. Dans cet état, l’être voit le profit sans être séduit, voit le danger sans être effrayé. Il devient ouvert sans être vulnérable, sensible sans être agité. La solitude devient une réjouissance, car la présence intérieure est complète.
La dernière strophe du Nei Yeh décrit la destination du chemin : un souffle mystérieux, à la fois infinitésimal et illimité, réside dans l’esprit. Il apparaît quand le cœur est tranquille et disparaît dès qu’il s’agite. Lorsque la tranquillité devient stable, le Dao s’établit naturellement. Chez celui qui a atteint cet état, le Dao pénètre les pores, imprègne les cheveux, se diffuse dans le corps entier ; la poitrine demeure invincible, car rien d’extérieur ne peut troubler un cœur sans fissure. Le texte conclut en affirmant que la réduction des désirs sensoriels est le fondement de cette invulnérabilité : celui qui ne se laisse pas entraîner par les formes extérieures ne peut être atteint par les dix mille choses.
Le Nei Yeh se présente ainsi comme un ensemble cohérent de pratiques et de principes, décrivant une anthropologie énergétique complète : essence, souffle, esprit ; numineux, cœur, tranquillité ; alignement, Un, puissance intérieure. Il ne propose ni ascèse dure, ni mysticisme ésotérique, mais une clarification progressive de l’intérieur par retrait du superflu.
Son enseignement peut se résumer en une formule simple :
Le Dao ne se conquiert pas - il se révèle lorsque l’être cesse de se disperser.
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